Comment ne pas s’intéresser au vers de terre sur une ferme ? Ils aèrent les sols, font circuler la matière organique, l’enrichissent de matière minérale. Ils servent aussi de nourriture à un bon nombre d’espèces. Quel peuplement trouvons-nous au Grand Laval ? Est-ce que le labour qui a lieu sur les parcelles est particulièrement destructeur ?
Pour répondre à ces questions, Réensauvager a ferme participe depuis 2 ans à l’observatoire participatif des vers de terre (OPVT). Après une première parcelle test dans le Verger en 2022, la présence de Melvyn Guillot-Jonard en février-mars 2023 dans le cadre de son stage de Master 2 a permis d’étendre l’échantillonnage à dix de parcelles cette année-là !
Test bêche de l’observatoire participatif des vers de terre
Car ce n’est pas une mince affaire. Le protocole employé est le « test bêche ». Cela consiste à creuser 6 petits trous de 20 cmsur 20 cm et 25 cm de profondeur à l‘aide d’une bêche, et d’y extraire tous les vers de terre qu’on trouve. Cela paraît petit, mais en fait, la quantité de terre est importante ! Il faut ensuite trier et effriter la terre pour y extraire les vers de terre : environ 45 minute par placette. Donc une parcelle de 6 trous nécessite au moins 4h de travail.
Sauf pour les meilleurs experts, les vers de terre sont impossibles à identifier à l’espèce sur le terrain : il faut les passer sous loupe binoculaire. Nous avons donc envoyé l’ensemble des 66 échantillons au laboratoire de l’université de Rennes en charge de l’Observatoire Participatif des Vers de Terre (OPVT), qui ont pu réaliser les identifications et les diagnostics de contextualisation de chaque parcelle par rapport à leur référentiel national.
Ils sont en effet en mesure d’évaluer si l’abondance de vers, leur biomasse totale, la diversité en espèces et la diversité en groupes fonctionnels est plutôt faible, moyenne ou bonne par rapport aux moyennes nationales, ce qui est précieux et permet d’interpréter un peu mieux nos observations.
L’échantillonnage se fait en hiver, lorsque les sols sont humides mais non gelés, lorsque les vers de terre remontent plus près de la surface. Les espèces de vers de terre sont réparties en 4 groupes fonctionnels. Les plus abondants sont les vers qui vivent dans le sol plus profond et ne remontent jamais à la surface : les vers « endogées ». Viennent ensuite les vers « anéciques stricts », qui brassent le sol sur la hauteur : ils font la navette entre la surface et les zones plus profondes, remontant vers la surface les matières minérales et redescendant en profondeur les matières organiques. Il y a les vers « anéciques surfaciques », qui font comme les précédents mais descendent moins en profondeur. Et enfin, les vers épigés, qui ne vivent que dans la couche superficielle, typiquement ceux que l’on retrouve dans le tas de compost ou de fumier.
Dix parcelles différentes
L’échantillonnage s’est porté sur l’ensemble de la ferme, incluant :
-le verger (à couvert au sol de type prairial)
-4 prairies permanentes
-3 cultures labourées annuellement, en rotation bio
-2 cultures témoin venant d’être reprises en 2023
Sur les 10 parcelles, d’après le standard de l’OPVT, 5 ont un « bon état » de communauté lombricienne, 2 sont en « état moyen » et 3 en « état mauvais ».
Comme on pouvait s’y attendre, les prairies sont plus favorables aux vers de terre que les cultures labourées. Mais dans le détail, les résultats sont plus complexes. Deux des quatre prairies permanentes, celles situées les plus à l’Est de la ferme (« La Batie »), ont une communauté en « bon état ». Le verger, qui a été mis en herbe à la même époque (en 2006), accueille également une communauté en « bon état ».
L’une des prairies échantillonnées est encore assez récente (4-5 ans) : si la communauté de lombriciens y a été jugée dans un état « moyen » du fait d’une faible diversité, elle se distingue toutefois par la biomasse de lombrics la plus élevée des 10 parcelles échantillonnées, qui double même la parcelle arrivant en deuxième position ! Elle n’a simplement pas encore été recolonisée par les espèces de surface.
La quatrième prairie présente un peuplement très pauvre (« mauvais ») en vers de terre : c’est vraisemblablement parce que le sol y est très tassé. La végétation y pousse d’ailleurs beaucoup moins vite qu’ailleurs.
Ensuite, le labour n’empêche pas les vers de terre d’y vivre : malgré son labour annuel, l’une des parcelles cultivées de la ferme a un « bon état » de communauté lombricienne d’après les standards de l’OPVT, tant en abondance qu’en diversité. On peut imaginer que la proximité des haies et des bandes enherbées permet aux communautés épigées et anéciques surfaciques de se maintenir malgré les labours.
Quant à l’une des cultures conventionnelles reprises en 2023, le fait qu’elle ait passé un an en jachère a visiblement permis à un beau peuplement de vers de terre de la recoloniser, puisqu’elle a également été classée en « bon état ». L’autre parcelle reprise, qui héritait du labour et du traitement conventionnel sans passage par une jachère d’un an, a obtenu le plus mauvais score des 10 parcelles.
Les espèces de surface (épigée) n’ont jamais été trouvées dans les cultures. Une seule espèce (Lumbricus castaneus) est détectée, dans les deux prairies anciennes (environ 15 ans d’ancienneté) qui se situent tout à l’est de la ferme, à la Batie, et au verger (qui a été remis en herbe à la même période). On sait malgré tout qu’il y a d’autres espèces d’épigées sur la ferme, mais qu’on n’a pas détectées par ce protocole. Ainsi, il arrive d’observer des individus du genre Octolagium qui traversent les chemins à l’air libre après les fortes pluies.
Les épi-anéciques (autres lombrics du genre Lombricus) se trouvent sur 4 des 10 stations : de nouveau le verger, une seule des deux prairies anciennes de l’Est, et dans les deux cultures labourées en « bon état ».
On trouve sinon des anéciques stricts et des endogées dans la quasi-totalité des sites échantillonnés (neuf sur dix). L’espèce la moins courante semble être Murchieona muldali, trouvée uniquement dans le verger, mais peut-être est-ce du fait de sa petite taille qui rend sa détection difficile.
Analyse de l’ADN environnemental des sols
En parallèle de ces prélèvements de vers de terre, nous avions effectué à l’automne 2022 des prélèvements de sol, pour analyse de l’ADN environnemental qu’ils contenaient, par le laboratoire Spygen. Ces résultats apparaissent relativement différents de ceux trouvés par l’OPVT. En particulier, l’ADN environnemental semble mieux détecter les vers de terre endogées, parfois trop en profondeur le jour des tests bêches mais qui ont laissé des traces d’ADN dans la couche prélevée pour analyse moléculaire. A l’inverse, les espèces épigées, de surface, apparaissent être mal détectées par l’ADN environnemental, peut-être en raison des protocoles de lavage utilisés, et de la faible quantité de sol de surface prélevé par rapport aux sols plus profonds. Mais l’ADN environnemental permet de détecter une autre famille d’Annélide oligochètes qu’on ne trouve pas à la vue : les vers enchytréides.
Et pourtant : il y en aurait plusieurs dizaines de milliers d’individus par m2, contre quelques centaines pour les vers de terre ! Simplement, ils mesurent entre 0,1 et 2 mm. Ils jouent un rôle extrêmement important dans l’assimilation des matières organiques du sol et la microstructuration des sols : comme les vers de terre, ils décompactent les sols, augmentent sa conductivité hydraulique et la concentration en oxygène. L’Inrae a mis en évidence que, comme les vers de terre, ils sont plus nombreux dans les cultures bio et dans les prairies, mais semblent plus tolérants que les vers de terre à des conditions d’agriculture intensive. Ils se trouvent ainsi logiquement dans la totalité des sols de la ferme, mais semblent avoir une abondance et une diversité plus élevée dans le verger.
Fait surprenant : la nouvelle parcelle de culture reprise en 2023 et qui s’est avéré être la plus pauvre en vers de terre s’avère … être l’une des plus riches et diversifiée en enchytréides ! On n’observe sinon pas de différence nette entre les cultures et les prairies pour ce groupe.
Perspectives
Suite à des échanges avec l’OPVT et Sarah Guillocheau en particulier, il apparaît intéressant d’étudier les sources potentielles de recolonisation des vers de terre de la ferme : les espaces qui n’ont pas bougé. Ainsi, en ce moment même, le protocole est mené le long du talus boisé du Guimand et dans le jardin familial de la ferme. Il va aussi être mis en œuvre dans une ou deux des haies ! Ces résultats seront disponibles à l’automne.