L’association Réensauvager la ferme, c’est une exploration du vivant que l’on trouve sur la ferme du Grand Laval (26), et c’est aussi la participation à des programmes scientifiques à plus grande échelle.
C’est ce que nous avons fait au cours de cet été 2023. Le projet Migralion, coordonné par Frédéric Jiguet du MNHN, vise notamment à comprendre comment les oiseaux migrateurs traversent la mer Méditerranée, en particulier dans un contexte de déploiement à venir d’éoliennes offshore. Parmi les espèces ciblées par l’étude, il y a la Tourterelle des bois, et Frédéric ne disposait pas de sites de capture le long de l’axe méditerranéen. L’espèce est par ailleurs assez compliquée à capturer. Mais avec 4 couples nicheurs sur la ferme, des champs de tournesol, des mares où s’abreuver, il fallait tenter. Alors l’équipe s’y est mise : Maxime (bagueur), Melvyn, Seb, avec l’aide d’Elsa, Laurène et Léna. Une dizaine de journées ou demi-journées de capture en tout, 10 filets, 4 clap-nets, une nasse. En tout, on en a capturé dix. Huit ont été équipées, et parmi elles, 4 ont été prédatées (toutes des jeunes), 4 sont parties en migration (deux jeunes et deux adultes). Deux autres jeunes étaient trop légères pour supporter le poids des balises (6g). La prédation importante des jeunes tourterelles par les éperviers a également été constatée à Moëze (17), autre site pour cette étude.
Les enseignements sont très nombreux, et la saga de chacun des oiseaux est détaillée dans ces quatre posts :
-Le juvénile capturé en juillet : https://threadreaderapp.com/thread/1700589020848308676.html
-Le juvénile capturé en août: https://threadreaderapp.com/thread/1706171933258072474.html
-La femelle adulte capturée en juillet : https://threadreaderapp.com/thread/1711424848017207605.html
-Le mâle adulte capturé en août: https://threadreaderapp.com/thread/1722860673728720913.html
Il a fallu choisir les balises les plus fiables et les plus adaptées aux besoins de l’étude. Celles que nous avons sont excellentes mais ont un inconvénient de taille : elles ne sont pas compatibles avec le réseau GSM africain. Donc nous n’aurons l’information de leur périple africain que l’an prochain, lorsqu’elles reviendront de migration, et seulement pour celles qui auront survécu.
La géographie des oiseaux autour de la ferme avant leur départ diffère beaucoup entre adultes et jeunes, et c’est logique. Les jeunes doivent explorer, rechercher un territoire pour l’an prochain. Le juvénile d’août passe pas mal de temps 3km au sud de la ferme, ainsi qu’à côté d’une carrière encore plus au sud, mais revient au Grand Laval avant son départ. Le juvénile de juillet explore beaucoup plus, jusqu’à 5 km au nord, 12 km au sud, puis se fixe autour de Bourg les Valence. Le mâle adulte reste uniquement sur la ferme du Grand Laval et la ferme voisine, la ferme des Gariots, alors que la femelle fréquente régulièrement deux sites, à 1,5 km au nord et 1,7 km au sud de la ferme.
Les deux adultes sont partis après les jeunes (le 13 et le 18 septembre pour les adultes, le 8 et le 11 pour les jeunes), ce qui est intrigant : chez la plupart des espèces, les adultes partent avant les jeunes. Le mâle adulte est le seul à partir avant le coucher du soleil : les autres partent entre 1h et 2h après le coucher. Trois sur quatre ont attendu que le vent tourne au nord pour partir. La jeune qui est partie par vent de sud n’a fait qu’une courte étape avant d’attendre un changement de vent.
Deux oiseaux ont atteint des vitesses de vol de 90 km/h, portées par le vent du nord dans la Vallée du Rhône. L’altitude de vol varie selon les oiseaux. Le jeune qui est allé jusqu’en Camargue a longé la vallée du Rhône à 1000m de haut ; la jeune qui s’est rendue au Baléares volait entre 300 et 700m ; la femelle adulte semble sélectionner une altitude voisine de 1300m au-dessus de l’Espagne, alors que le mâle adulte ne monte pas au-dessus de 700m.
Les deux adultes ont longé les côtes espagnoles (un peu à l’intérieur des terres toutefois, mais semblent clairement utiliser ce repère), les deux jeunes semblent s’être lancées dans la traversée de la Méditerranée (de manière certaine pour l’une d’elles).
Détail de leur périple européen :
-Juvénile de juillet : un vol de 220 km en 6h de Bourg les Valence à la Camargue
-Juvénile d’août : après deux faux départs, un vol de 650 km d’une traite, en 10h30, de Montélimar jusqu’à Majorque
-Femelle adulte : vole 4 nuits de suite du Grand Laval jusqu’en Andalousie : première étape de 240 km (Valence-Montpellier), 2e étape de 260 km (Montpellier-Barcelone), 3e étape de 330 km le (Barcelone-Bunol), 4e étape de 480 km. Puis stationne 3 jours en Andalousie avant de partir pour l’Afrique.
-Mâle adulte : premier vol de 475 km en 8h15 entre le Grand Laval et Barcelone, puis la nuit suivante, vol de 360 km jusqu’au sud de Valencia (en 8h45), avant départ vraisemblable pour l’Afrique.
Le programme se poursuivra l’an prochain, il est prévu que nous continuions d’équiper des oiseaux, avec une technologie un peu plus légère !
Nous étudierons également plus en détail l’utilisation de l’habitat sur la ferme et les fermes alentours par les tourterelles, en lien avec une autre étude qui débute sur le sujet.